La médiation scientifique : un enjeu prioritaire pour les politiques publiques

La désinformation est une urgence politique

Dans un contexte où les crises politiques, économiques et sociales s’accentuent, la médiation scientifique émerge comme une réponse stratégique essentielle. Face à la montée des radicalismes et à l’explosion de la désinformation, la perte de confiance dans la science fragilise non seulement le débat démocratique, mais aussi l’économie et les avancées technologiques. Cet article explore pourquoi la médiation scientifique devrait être au cœur des politiques publiques, en examinant ses impacts sur les enjeux politiques, économiques et sociétaux.

La médiation scientifique comme enjeu politique


1. Désinformation et perte de confiance : un péril démocratique

La montée de la défiance

La défiance envers la science et les scientifiques alimente un climat social délétère. Lors de la crise sanitaire liée au COVID-19, la méfiance vis-à-vis des vaccins a exacerbé la pandémie. Selon une étude publiée dans The Lancet (2021), seulement 60 % de la population mondiale déclarait avoir confiance en la sécurité des vaccins, un chiffre en baisse depuis 2015. Cette méfiance impacte également les politiques publiques, les rendant plus difficiles à mettre en œuvre.

Des études scientifiques montrent que le non-recours à la vaccination contre la COVID-19 a eu des conséquences significatives en termes de mortalité et de sévérité des cas. Les études sur l’impact de la vaccination contre la COVID-19 montrent que la non-vaccination a contribué à un nombre significatif de décès évitables. Une étude de The Lancet estime que près de 20 millions de décès ont été évités dans le monde grâce à la vaccination en 2021, mais que des millions d’autres pourraient l’avoir été avec une couverture vaccinale plus étendue​

La crise sanitaire du Covid a été un exemple tragique et évident que la défiance envers les institutions scientifiques et la science en général peut avoir le coût le plus élevé : un coût humain.

Radicalités et fractures sociales

Les radicalismes prospèrent sur le terreau de la désinformation. Les fausses nouvelles diffusées sur les réseaux sociaux polarisent les opinions et minent les fondements mêmes du débat démocratique. Une recherche de l’Université de Cambridge (2022) souligne que 74 % des fake news touchant aux enjeux climatiques ont été partagées sans remise en question. Ces contenus contestent des données scientifiques bien établies et renforcent les mouvements climato-sceptiques, retardant les actions politiques nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique.

Radicalisation politique et populisme


Des campagnes de désinformation ont été utilisées pour exacerber les tensions sociales et politiques, comme observé dans des élections majeures, telles que celles des États-Unis en 2016 et 2024 ou le référendum sur le Brexit. Ces manipulations ont alimenté des mouvements populistes, divisant les sociétés entre « élites » et « peuple ». Une étude du MIT (2019) a démontré que les fausses informations politiques avaient 70 % plus de chances d’être partagées que les informations vérifiées. Ceci n’est en rien étonnant, les fake news ont en général comme stratégie de départ de susciter une émotion et d’être partagée. L’information scientifique, elle, rend davantage compte de la complexité des situations, est par nature moins sensationnaliste, et donc moins émotionnellement partageable.

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Les contenus conspirationnistes diffusés en ligne nourrissent également des radicalismes religieux, en particulier sur des sujets liés à la liberté d’expression, aux droits humains ou aux conflits géopolitiques.

Certes, le mensonge politique a de tous temps été une arme efficace, mais le manque d’éducation à la démarche scientifique, à la vérification des protocoles et à l’analyse des données qui tout trois conduisent à des informations chiffrées ou textuelles, rend la démarche beaucoup plus « acceptable ». De pratique politique douteuse, le mensonge politique devient norme.

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Dans un discours célèbre, Isaac Asimov déclarait :
« La fausse idée selon laquelle ‘mon ignorance vaut autant que votre savoir’ est en train d’éroder les fondations mêmes de notre société. »

« L’absence de compréhension des processus scientifiques rend les citoyens vulnérables à la manipulation et aux discours populistes. »Étude de Lewandowsky et al., 2020

Et bien sûr, comment ne pas citer George Orwell et son célèbre 1984 :

« La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. »

Nous n’en sommes pas encore là, mais nous n’en sommes pas loin non plus…


2. Un enjeu économique : investir dans la science et l’innovation

Chute des vocations scientifiques

La baisse de l’intérêt des jeunes pour les sciences inquiète. Selon l’OCDE, les inscriptions en filières scientifiques ont chuté de 20 % en Europe entre 2010 et 2020. Cette tendance menace l’innovation, particulièrement dans les secteurs technologiques de pointe.

« Le déficit en compétences scientifiques et technologiques est une barrière majeure à l’investissement et à la compétitivité économique. »Rapport de l’OCDE, 2023

De plus, l’intelligence artificielle (IA) creuse une nouvelle fracture numérique. Ceux qui maîtrisent les outils de l’IA possèdent un avantage considérable, tant au niveau individuel qu’économique ou politique. Pourtant, une majorité de citoyens n’a pas les compétences nécessaires pour utiliser ces outils de manière critique.

Pour inverser ces tendances, il est impératif de repenser l’éducation scientifique et numérique. Il s’agit notamment de promouvoir l’apprentissage continu, renforcer les programmes de formation dans les sciences et technologies, et favoriser des politiques inclusives pour réduire la fracture numérique. Une Europe compétitive dans les technologies de pointe passe par une meilleure intégration des compétences scientifiques et numériques à tous les niveaux de la société.

On observe un paradoxe qui pourrait paraître étonnant : plus le monde se numérise et se complexifie, plus les individus perdent l’intérêt et les compétences pour en garder la maîtrise. Cette contradiction a pourtant une explication simple : la technologie fait peur. Le dérèglement climatique, la virtualisation des processus relationnels, le remplacement des espaces physiques par les espaces numériques : il y a de quoi être déboussolé. Pourtant, ce n’est pas en rejetant la technologie que l’on pourra mieux la contrôler. La réorienter vers des innovations foncièrement sociétale semble nécessaire. Mais pour cela, il faut déjà que la société elle-même s’empare des outils technologiques, et donc qu’elle renoue avec la science.


3. Médiation scientifique : une réponse à ces défis

Une science plus horizontale

La vulgarisation scientifique traditionnelle, verticale, tend à séparer les scientifiques du public, à diviser le monde en deux catégories : les « savants », et les « profanes ». Or c’est tout l’inverse de la pensée scientifique, qui considère le chercheur comme un profane comme un autre. Face à une problématique donnée, scientifiques et non-scientifiques sont ontologiquement égaux, seuls leurs outils diffèrent. La vulgarisation scientifique, lorsqu’elle se définit comme « les efforts pour rendre accessible » les savoirs depuis une source savante vers une source ignorante, joue complètement contre son camp. À l’inverse, la médiation scientifique promeut un dialogue. Ce modèle permet au public de participer activement aux processus scientifiques et d’adopter une démarche critique face aux informations, réduisant ainsi la propagation des fake news.

« Les projets de science participative ont montré que l’engagement citoyen renforce la confiance et la compréhension des sciences. »Étude de Bonney et al., 2016

Cas pratiques : sciences et société

Malgré des initiatives comme le programme SAPS (Sciences et Société) ou les projets de valorisation des ANR en France, les financements ont souvent été alloués aux laboratoires eux même, ou à des agences de communication non scientifiques, sans impliquer suffisamment les acteurs de la médiation scientifique, et notamment les associations de terrain.

Propositions concrètes :

  • Co-construction de projets : Des plateformes collaboratives peuvent être mises en place pour réunir chercheurs, associations, élus locaux et citoyens. Cela permettrait de concevoir des projets en phase avec les besoins réels de la société.
  • Formation des chercheurs : Il est nécessaire de former les chercheurs à la médiation scientifique pour qu’ils comprennent comment adapter leur communication et travailler avec des partenaires non scientifiques.
  • Renforcement des associations : Accroître les subventions directes aux associations spécialisées et valoriser leur rôle en tant que médiateurs entre les institutions scientifiques et le public.

Une évaluation de l’ANR (rapport 2021) a mis en lumière des lacunes dans la diffusion des résultats scientifiques vers le grand public. Les projets SAPS, bien qu’ambitieux, ont souvent manqué d’outils pour mesurer leur impact réel sur la société civile.

De plus, des études en médiation scientifique, telles que celles de Baron et Gerin (2020), montrent que les initiatives participatives aboutissent à une meilleure appropriation des résultats par le public. Selon eux, « la co-construction permet non seulement de diffuser la connaissance, mais aussi de renforcer la légitimité des politiques publiques basées sur la science. »



La médiation scientifique : un levier pour une société plus démocratique

La médiation scientifique n’est pas qu’une question académique ou éducative. Elle est un levier pour construire une société résiliente, capable de relever les défis politiques, économiques et climatiques du XXIe siècle. Elle doit devenir une priorité pour les politiques publiques, non seulement pour contrer la désinformation, mais aussi pour renforcer les liens entre science et société. En investissant dans des programmes de médiation et en valorisant les sciences sociales, les gouvernements peuvent transformer ces défis en opportunités.

Une société qui comprend la science est mieux équipée pour prendre des décisions éclairées.

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Sources citées

  • Lewandowsky, S. et al. (2020). The “infodemic” and trust in science.
  • Bonney, R. et al. (2016). Citizen Science: Theory and Practice.
  • Felt, U. (2015). Science and Its Publics: A Changing Relationship.
  • OCDE (2023). Rapport sur les compétences scientifiques dans l’économie globale.
  • Royal Society (2020). Why Science Matters.

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