L’interview : une pratique artistique

L’interview : un art au service des sciences sociales

En sciences sociales, l’interview ne se limite pas à la collecte de données : c’est une pratique artistique à part entière. Comme toute œuvre d’art, elle demande une grande sensibilité et un soin particulier dans sa conception et sa réalisation. L’interview devient un espace de création, où l’écoute active, l’intuition, et la capacité à établir un lien de confiance jouent un rôle clé. Elle permet d’explorer des réalités humaines complexes, d’ouvrir un dialogue et de capter des nuances subtiles qui échappent aux méthodes plus standardisées.

Loin d’être une simple technique, l’interview met en scène une rencontre entre l’enquêteur et l’enquêté, un moment unique où l’échange crée un matériau riche et authentique. Elle fait émerger des histoires, des points de vue et des émotions qui, une fois mises en forme, constituent une narration vivante et fidèle de la diversité des expériences humaines. Chez Trois Petits Points, nous valorisons cette dimension créative de l’interview pour transformer les récits scientifiques en œuvres intelligibles, sensibles et profondément humaines.

L’entretien filmé comme pratique spécifique

L’entretien filmé dans le cadre d’un projet de valorisation de la recherche est une pratique artistique à part entière. Dans un temps donné, il s’agit de récolter une matière qui s’exprime en paroles mais aussi en émotions, en regards, en cadre. C’est une pratique spécifique, qui diffère de l’entretien dans le cadre d’une recherche ou de l’entretien réalisé dans un cadre thérapeutique, mais peut jouir d’espaces intermédiaires à ces deux espaces.

L’interview n’a pas d’autre but que de collecter la parole. Il ne s’agit pas de l’analyser, l’interview filmée dans le cadre de la valorisation n’a pas d’autre but que d’être collectée pour être utilisée, elle n’a pas de but pour le chercheur ou la personne interviewée. Bien sûr, une petite partie sera utilisée pour illustrer le contenu d’une recherche, mais la grande majorité ne sera pas conservée. 

Cette parole libre d’objectif, fait de l’expérience de l’entretien une expérience singulière, qui produit des résultats souvent très différents des autres types d’entretien. Souvent, le “ regardé ‘ change parce qu’il est regardé, souvent,  “l’écouté” voit son discours changer du fait de la présence d’une caméra.

Dans notre expérience, souvent, la personne interviewée se découvre autrement. Chez le psychologue, il s’agit d’aller mieux, de comprendre. Pour le chercheur, il s’agit d’expliquer, de quantifier. Pour l’artiste, la prise de parole « inutile » peut être totalement « lâchée ». Ce type d’entretien de par sa modalité particulière conduit à des prises de conscience nouvelles.

Je me souviens ainsi de parents d’un petit enfant autiste interviewés dans le cadre d’une recherche sur le handicap. Quelques jours après l’interview, ils m’appellent et m’informent que l’interview les a fortement secoués, qu’elle a fait ressortir des émotions liées à des parcours de vie qu’ils pensaient avoir dépassés. Ils me remercient toutefois, en indiquant leur surprise d’avoir vu leur questionnement bousculé suite à cette interview.

Ce type d’événement est extrêmement courant. D’ailleurs, nous prévoyons et recommandons sur certains projets des interviews avec des psychologues post interview pour les personnes ayant pris la parole.

Sur des sujets liés à des périodes émotionnelles fortes, des crises de vie, etc, il est presque courant que la personne interviewée soit, dès la toute première question, sujette à des émotions incontrôlées, et qu’elle s’en trouve surprise.

« Partager des expériences personnelles ou se raconter sans but précis peut avoir un impact psychologique profond sur l’individu qui parle. Ce processus peut faciliter l’expression des émotions, la clarification des pensées et le renforcement de l’identité personnelle, contribuant ainsi au bien-être émotionnel et psychologique. » (McAdams, D. P. (2001). The Psychology of Life Stories. Review of General Psychology, 5(2), 100-122.)

« Se raconter sans but précis peut constituer un acte de réflexion et d’exploration de soi. En articulant leurs expériences et leurs émotions à voix haute, les individus peuvent prendre conscience de leurs pensées et sentiments profonds, ce qui peut conduire à une meilleure compréhension de soi et à un soulagement émotionnel. Ce processus narratif peut également renforcer le sentiment de contrôle sur sa propre histoire et favoriser le développement personnel. » (Freedman, S. R., & Brown, A. S. (2011). Learning Through Life Stories: Narrative Approaches in Health and Social Care. Social Work Education, 30(6), 665-680.)

Ainsi, la communicant scientifique, en sciences sociales, par la simple collecte de matière, influence lui-même le sujet de la recherche. 

Les arts visuels et performatifs utilisés dans le cadre de la recherche en sciences sociales inspirent des hypothèses et des expérimentations nouvelles en posant des questions inédites ou en envisageant des scénarios alternatifs. L’installation “Listening to the Mind Listening” de l’artiste Chris Chafe, par exemple, qui convertit les signaux neuronaux en musique, est discutée comme un exemple de la manière dont l’art peut ouvrir de nouveaux champs d’exploration scientifique.

En sciences sociales, la recherche est un art, et l’art une recherche.

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