La communication scientifique non verbale est un outil essentiel, surtout dans les sciences humaines, où les interactions et les comportements jouent un rôle fondamental. Tout ne peut être transmis par des mots : les gestes, le regard, l’intonation, et même le silence véhiculent des messages importants. En effet, les émotions et les relations humaines échappent souvent au langage verbal, et les chercheurs en sciences sociales en sont particulièrement conscients.
La communication non verbale permet d’exprimer des concepts abstraits, des états émotionnels et des nuances que le langage ne peut pas toujours capter. Par exemple, dans des recherches sur les dynamiques de pouvoir ou les interactions sociales, les postures, les expressions faciales et le langage corporel en disent souvent plus long que les discours formels. Les anthropologues, psychologues ou sociologues doivent donc être particulièrement attentifs à ces signaux non verbaux pour comprendre et analyser des comportements humains dans toute leur complexité.
Chez Trois Petits Points, nous mettons en valeur ces dimensions non verbales dans nos projets de médiation scientifique. En collaborant avec des artistes et des experts en sciences humaines, nous aidons à traduire ces messages subtils dans des formats visuels et interactifs. Cette approche, qui valorise aussi les méthodes de recherche-action, permet de toucher un large public, de stimuler des discussions plus profondes et de faciliter la compréhension de sujets complexes qui ne se résument pas en mots.
Collecte d’information scientifique et transmission : de l’importance du non verbal :
En sciences sociales, l’objet d’étude est triple : l’objet sociétal dans ses interactions avec son environnement, le sujet humain au sein de sa/ses structures sociales, le sujet humain pris hors de sa structure sociale. La communication humaine, le témoignage, est donc à la fois le sujet d’étude lui-même et le moyen de les mener.
Dans notre expérience de valorisation de la recherche, le non verbal intervient à deux niveaux – lors de la collecte de la matière : il s’agit de réaliser des entretiens filmés, puis de les transmettre à travers un montage vidéo, une animation, un graphisme – et lors de la transformation de cette matière, qui est toujours une prise de parole à deux voix entre témoin et réalisateur-monteur.
Collecte de l’information scientifique :
Il y a dans le témoignage filmé, une parole qui peut être traduite en mots, et une communication non verbale qui contient une partie de l’information :
« La communication non verbale joue un rôle crucial dans la transmission de connaissances scientifiques, contribuant jusqu’à 93% de l’impact d’un message, ce qui est particulièrement pertinent lors de la présentation de résultats de recherche. » (Mehrabian, A., & Wiener, M. (1967). Decoding of inconsistent communications. Journal of Personality and Social Psychology, 6(1), 109-114. doi:10.1037/h0024532).
Lorsque le témoin interviewé est l’objet de recherche, la transmission d’information se fait avec des mots, mais aussi avec des attitudes, des gestes, des signaux faciaux, etc…
Lorsque le témoin interviewé est le chercheur, sa communication non verbale va également être fondamentale pour la transmission d’information.
« Les signaux non verbaux, tels que le contact visuel, les expressions faciales et la posture, peuvent affecter la perception de la crédibilité d’un scientifique lors de la présentation de ses recherches. » (Burgoon, J. K., Birk, T., & Pfau, M. (1990). Nonverbal behaviors, persuasion, and credibility. Human Communication Research, 17(1), 140-169. doi:10.1111/j.1468-2958.1990.tb00229.x)
Enfin, au-delà de la donnée informative brute qui peut être collectée, c’est-à-dire sa “structure”, il s’agit de collecter une matière qui correspond à la réalisation finale (le diptyque structure-fonction fonctionne ici pour l’œuvre d’art autant que pour le contenu scientifique valorisé/vulgarisé).
« Les expressions faciales sont des indicateurs clés des émotions humaines et leur reconnaissance correcte est essentielle pour une communication scientifique efficace, permettant de transmettre l’enthousiasme et l’engagement envers le sujet. » (Ekman, P., & Friesen, W. V. (1971). Constants across cultures in the face and emotion. Journal of Personality and Social Psychology, 17(2), 124-129. doi:10.1037/h0030377)
Ainsi, l’information collectée est indissociable de celui qui la collecte : une interview est unique, subjective, non duplicable : elle est un objet d’art :
Enfin, lors de la collecte d’information, il est impossible de faire abstraction du sujet réalisant l’entretien. Plus qu’une collecte d’information, il s’agit de collecter les résidus choisis d’une interaction. Lors d’une interaction, chaque acteur émet et reçoit des éléments verbaux (le langage), acoustiques (l’intonation de la voix, par exemple), physiques (l’organisation de l’espace), visuels (les gestes et les mimiques). Et c’est de cet ensemble d’éléments en interaction que naît la signification :
“Ce n’est que dans un contexte d’ensemble des systèmes de signes, lui-même intégré dans un contexte d’interactions, que le sens pourra se former” (Argentin, 1989, p. 177).
« En sciences sociales, un objet d’art est une création unique qui exprime la vision individuelle de l’artiste, tout en étant profondément ancrée dans un contexte social spécifique. Cette unicité reflète non seulement l’identité et les intentions de l’artiste, mais aussi les structures sociales et culturelles qui influencent sa production et son interprétation. » (Becker, H. S. (1982). Art Worlds. University of California Press.)
Dans notre expérience personnelle, cette collecte de l’information est fondamentale. Par exemple, lors d’un projet sur la prévention du suicide, des témoignages de personnes ayant réalisé des passages à l’acte ont été recueillis. Si la partie verbale de cette collecte est importante, la partie non verbale est ici fondamentale : des témoins expriment les leviers qui les ont aidés à dépasser une crise suicidaire. Pour créer une identification positive, il s’agit de prendre en compte la complexité émotionnelle de la personne interviewée.
Une information verbale peut être pertinente, mais le non-verbal associé non pertinent, et vice versa. Nous en prenons pour exemple ce témoignage de Lucie, qui, un sourire sur les lèvres et les larmes abondantes, témoigne du caractère positif dans sa vie du passage par une crise suicidaire. Il y a là une ambivalence qui questionne et oblige à faire du non-verbal un élément absolument non négligeable.
Autre question posée : peut-on dire que l’objet regardé change en fonction de celui qui le regarde ? Il est très probable que l’entretien, lorsqu’il est filmé, dans un objectif de valorisation de la recherche, soit différent d’un entretien de recherche réalisé dans d’autres conditions.
Le regard porté sur le sujet a une influence sur celui-ci et donc sur la valorisation elle-même…
… Schrödinger, es-tu là ?
2 Replies to “La communication scientifique non verbale”