De près, de loin, le cancer nous concerne tous. Caractérisé par une prolifération excessive de cellules devenues anormales, il affecte les corps et bouleverse l’équilibre psychologique des patients et de leur entourage. Sidération, déni, anxiété, chacun réagit à sa manière à l’annonce de la maladie. Quand le patient est déjà atteint d’un trouble psychique, la gestion de cette épreuve a ses spécificités. Chaque cas est différent, et riche d’enseignement sur notre capacité de résilience face à la maladie. Pour prévenir comme pour guérir, la qualité des liens tissés semble être notre atout le plus efficace pour traverser ce chemin si redouté.
SUREXPOSITION, DÉNI ET DIAGNOSTIQUE TARDIF :
Pour comprendre nos réactions face à la plus courante des maladies graves, l’étude des personnes atteintes de troubles psychiatriques est riche d’enseignements.
Souvent liée à des pratiques extrêmes, l’incidence du cancer est plus grande chez les personnes souffrant déjà de maladies psychiatriques. Les addictions diverses, tabac, alcool, drogues, sucre sont un terrain favorable au développement du cancer.
Parmi les personnes schizophrènes, l’incidence est deux à trois fois plus importante (60 à 90% de fumeurs) que la population générale (30 % de fumeurs)
Pour augmenter les chances de guérison, la rapidité du diagnostique est fondamentale. Plus il est tardif, plus il sera difficile de traiter la maladie. Il peut exister un déni à plusieurs niveaux : malades, proches, corps médical, le diagnostique est alors souvent plus tardif, et les dispositifs de prévention moins efficaces.
Plus, la tolérance des proches et des accompagnants face aux pratiques addictives sont souvent un frein à la prévention du cancer.
Aux sources de Nayrac, centre d’accueil de travailleurs souffrant de troubles psychiatriques, l’addiction n’est pas un tabou.
Pour les proches comme pour les accompagnants, les pratiques addictives peuvent être vues comme une aide difficilement négociable. Pourtant, si le problème est bien connu, les diagnostiques sont malgré tout souvent tardifs. En effet, le rapport au corps et aux phénomènes de somatisation pouvant être spécifiques, il est très difficile de déceler ce qui relève du médical ou d’une demande affective somatisée.
Nathalie habite au foyer « La passerelle ». Il y a deux ans, elle a vaincu une leucémie qui a pourtant été décelée très tardivement.
RÉSILIENCE ET COMBATTIVITÉ FACE À LA MALADIE :
Souvent, la première période après la rencontre avec la maladie est une phase plus ou moins longue de déni. S’il recule souvent la date du diagnostique, il a malgré tout d’autres avantages. En effet, la construction d’un récit alternatif s’avère parfois un surprenant atout. En dissociant la maladie du corps du patient, le déni de maladie diminue la culpabilité, l’anxiété et favorise une posture positive face au cancer. Si le corps n’est pas malade, il peut mieux se défendre face à une attaque vécue comme exogène.
Face au cancer, le corps reprends corps, il développe des mécanismes de survie surprenants, tant au niveau physique que psychique. Mieux, cette maladie, parce qu’elle nous concerne tous, favorise l’empathie chez les proches. Le lien est alors plus nourri, et les symptômes psychiques peuvent alors sembler régresser. Pour Nathalie, le cancer a coïncider avec une période d’accalmie des plaintes somatiques. Chez les personnes atteintes de troubles psychiatriques, la capacité à supporter des protocoles lourds et douloureux semble supérieure à la normale. Les patients sont plus coopératifs, plus déterminés et, paradoxalement, moins angoissés que la moyenne.
Mais face à la maladie, chacun réagit à sa manière, et il est impossible de tirer des conclusions générales. Tandis que Nathalie affrontait une leucémie, Manu, lui aussi résident du foyer « La passerelle », faisait face à un cancer du poumon qui s’est finalement généralisé. Il n’y survivra pas. Mais face à la gravité du diagnostique, il a lui aussi fait preuve de ressources inattendues. Chez lui, aucun déni, mais une résilience surprenante, qui lui permettra de vivre une fin de vie empreinte de sérénité.
Si les personnes atteintes de troubles psychiatriques sont plus souvent touchés par le cancer, il ne semblent pas pour autant plus vulnérables. Les dispositifs de survie psychiques mis en place au cours de leur vie peuvent être source d’apprentissages pour tous. Construction d’un récit alternatif, résilience, dissociation, ressemblent moins ici à des dysfonctionnements qu’à des outils complexes favorables à la survie dans le combat face à la maladie.
LES DIFFICULTÉS DES AIDANTS :
Plus d’un tiers des malades guérissent du cancer. Pourtant, il est très difficile de prévoir les chances d’évolution de la maladie chez un individu spécifique. La ressource psychique semble toujours déterminante. De l’avis de nombreux spécialistes, le décalage réside avant tout dans l’accompagnement. Famille, proches, aidants, accompagnants médicaux et sociaux, la lutte contre la maladie est une épreuve collective. Plus le malade est soutenu, plus les chances de guérison augmentent.
Chez les personnes atteintes de troubles psychiatriques, l’accompagnement est souvent déficient. Les familles déjà sollicitées pour la maladie psychique, n’ont pas toujours les ressources pour accompagner le patient sereinement.
Le corps médical, quand à lui, est alors doublement sollicité et la séparation de l’accompagnement psychique et médical peut poser problème. En cancérologie, on est souvent peu ou pas formé à la maladie psychique. Tandis que dans les centres d’accompagnement psychiatriques, on déplore un manque de connaissances face à des protocoles aussi lourds médicalement.
La transmission des informations entre médical, familles, personnel éducatif est déficiente et difficile. Pourtant, elle est fondamentale. Mieux l’information médicale circule, meilleur sera l’accompagnement psychique. D’autre part, une transmission des informations d’ordre psychiatrique au corps médical améliorera la prise en charge physiologique. Le cancer est une maladie du corps, mais face à laquelle la santé de l’esprit est un paramètre fondamental.
DIALECTIQUE CANCER TROUBLE PSYCHIQUE
En réalité, cancer et trouble psychiatrique se répondent l’un l’autre.
La maladie psychique, souvent corrélée aux addictions, favorise des conduites à risque. Le cancer, par sa symbolique et son renvoi à la question du deuil, peut alors à son tour déclencher ou révéler des troubles psychiques chez le malade et son entourage.
Parce que cette maladie fait référence à un imaginaire spécifique, l’information devrait peut-être également faire l’objet d’une réflexion particulière. L’annonce de la maladie, sa prévention, doit-elle se faire de manière spécifique ? Un accompagnement psychique doit-il être toujours prévu pour les patients, voire même pour leur entourage ?
Si la dialectique cancer et trouble psychiatrique peut sembler décourageante, elle induit en miroir la possibilité d’un cercle vertueux. Le soin apporté aux psychisme du malade favorise la guérison, et l’affrontement de la maladie peut amener le patient à mieux appréhender son univers affectif propre.
LE LIEN
Enfin, pour cette maladie emblématique plus que pour toute autre, la question du lien semble fondamentale.
Il favorise la guérison, et la maladie peut le favoriser en retour. Or, la qualité des liens semble être une des clés liant maladie mentale et addictions, qui sont si déterminantes dans l’apparition de la maladie.
En 1978, Bruce Alexander, un psychologue canadien, mène une expérience historique sur l’addiction. Il démontre chez la souris que mis en lien en communauté dans un « parc de rat », leur consommation de produits stupéfiants, mis à disposition librement, est bien moindre que lorsqu’ils sont isolés.
D’après cette expérience, l’environnement social joue un rôle prédominant dans la mise en place de pratiques addictives favorables au cancer. Quand à son traitement, il est lui aussi largement influencé par la qualité de l’accompagnement du malade.
Il n’est donc pas étonnant que les questions liées à la distance du lieu de soin médical revienne souvent dans l’étude du cancer. Le fait d’habiter en milieu rural ou en milieu urbain, plus proche du lieu de soin, semble être fondamental dans l’issue de la maladie. Lors de son séjour en service oncologique, le malade est moins souvent visité s’il vit en milieu rural. Pourtant, cette donnée peut ouvrir de nouvelles pistes quand à l’accompagnement des malades. L’oncopole le plus proche est à presque 200 km du foyer « La passerelle ». Pour pallier la distance et mettre en place un accompagnement efficace, l’équipe utilise des outils numériques qui s’avèrent déterminants et très positifs pour Nathalie.
Le lien est fondamental pour favoriser une rémission, même lorsque la maladie est trop avancée pour guérir. Lorsque manu a atteint un stade avancé de la maladie, la question de son accompagnement s’est posé. Jusqu’où le foyer d’accueil pouvait l’accompagner, alors que le protocole médical devenait de plus en plus lourd ? Pourtant, c’est là que réside sa famille de coeur. Mais sa compagne d’alors, Chantal, ne peut le visiter ni à l’hôpital, ni au foyer d’accueil. La question se pose alors : la création d’un troisième espace, qui favoriserait autant l’accompagnement médical que psychique et qui serait surtout davantage orienté sur la qualité des liens en fin de vie, ne serait-elle pas l’option la plus adaptée ?
Dans la mise en place de structures et d’accompagnements adaptés face au cancer, l’étude des situations de troubles psychiatriques est riche en apprentissages. Ici, la question du lien y est d’autant plus sensible qu’elle semble révéler des enjeux généralisables à toute la population. La maladie, relevant d’un imaginaire qui peut sembler désespéré a été pour Nathalie, Manu et leurs proches un moment particulier dans lequel des espaces de vie et de paix ont existé, et dans lequel, contre toute attente, des liens forts ont pu naître.