En recherche-action, la question des identifications est fondamentale
S’identifier au sujet valorisé
« En recherche-action, l’objectif n’est pas seulement de transmettre de l’information, mais de créer un changement significatif en influençant les pratiques et les comportements. Cette approche participative vise à impliquer activement les parties prenantes pour co-construire des solutions qui ont un impact direct et durable sur leur contexte. »
(Kemmis, S., & McTaggart, R. (2000). Participatory Action Research. In N. K. Denzin & Y. S. Lincoln (Eds.), Handbook of Qualitative Research (pp. 567-605). Sage Publications.)
En communication, en art, la capacité d’identification est un paramètre fondamental. Elle est très présente, jusqu’à être parfois toute puissante. En témoignent les castings de films qui, de plus en plus, sont pensés en fonction des capacités d’identification du public. Ainsi, on choisit, voire on change dans le cas d’une adaptation, le sexe des personnages, leur couleur de peau, leur âge, leur origine sociale, en fonction de l’identification souhaitée.
En valorisation de la recherche, les modèles de structuration des contenus en fonction de l’identification sont moins utilisés, mais tout aussi valables.
« En sciences sociales et en recherche-action, la valorisation de la recherche repose souvent sur l’identification du sujet à l’objet d’étude, où les participants ne sont pas seulement des sources de données, mais des co-constructeurs de connaissances. Cette approche reconnaît la subjectivité et l’expérience des participants comme essentielles à la production de savoirs pertinents et applicables. »
(Reason, P., & Bradbury, H. (2001). Introduction: Inquiry and Participation in Search of a World Worthy of Human Aspiration. In P. Reason & H. Bradbury (Eds.), Handbook of Action Research: Participative Inquiry and Practice (pp. 1-14). Sage Publications.)
Si l’objectif de la recherche-action est de questionner les pratiques d’un groupe de professionnels, l’objet de valorisation doit procéder d’une identification fiable, compatible avec ce groupe professionnel. Un exemple pourrait être celui de travaux menés en agriculture, précisément sur le changement de pratiques en agroécologie. Dans ce cas précis, la catégorie socioprofessionnelle “agriculteur” se caractérise par une défiance plus ou moins affirmée envers les organismes de recherche, dont la fiabilité et l’indépendance peuvent être mises en doute.
Des travaux de recherche très intéressants peuvent être valorisés de manière optimale sans pour autant induire de changement de pratique en raison d’un défaut d’identification, l’agriculteur ne pouvant pas s’identifier aisément au chercheur qui la valorise. En définitive : un bon outil de valorisation de la recherche n’est pas nécessairement un bon outil de valorisation de la recherche-action !
Il s’agit donc de penser la réalisation des outils en fonction de leur valeur d’identification potentielle au public cible.
Dans le cadre du projet sur la prévention du suicide, nous recherchons les identifications positives à des personnes ayant traversé une crise suicidaire avec passage à l’acte, en faisant le lien entre communication non-verbale et processus d’identification. Dans ces témoignages, il s’agit de favoriser l’identification au public cible, les personnes traversant une crise suicidaire ou leurs proches.
Nous faisons face ici à un paradoxe : afin de favoriser l’identification d’un public cible considéré comme “en crise”, il faut choisir des individus chez qui l’émotion suscitée par la crise passée est présente, mais dépassée. Si la personne interviewée va trop mal, elle ne va pas dans le sens du projet, si elle va trop bien, elle va dans le sens de la recherche mais ne permet pas une identification pour une personne en crise.
La question de l’identification est donc impactante, et parfois en contradiction avec les questions liées à la valorisation elle-même.
Changer les identifications
Souvent, en recherche-action en sciences sociales, il s’agit de faire évoluer les représentations liées à une catégorie physique, morale, sociétale ou encore professionnelle. Il faut pour cela que le public cible s’identifie à l’objet valorisé (un individu pour un témoignage vidéo, un univers visuel et narratif pour une bande dessinée, etc.), puis, dans un deuxième temps, que cette identification modifie ses représentations.
Il s’agit là souvent d’un travail d’équilibriste : proposer une identité suffisamment proche du regardeur pour qu’il puisse s’identifier, puis proposer des éléments dissociatifs différents (pratiques, comportements sociaux ou psychologiques, etc.) pour faire évoluer cette identification. Pour ce faire, il est utile d’utiliser des pratiques artistiques, en ce qu’elles permettent des faisceaux d’identification riches, variés, qui peuvent parfois entrer en contradiction. Stuart Hall. Sage Publications) souligne le rôle des pratiques artistiques dans la création de nouvelles identifications, grâce à l’engagement avec des faisceaux d’identification variés et parfois contradictoires.
« Les pratiques artistiques offrent des opportunités uniques pour la construction et la reconstruction des identifications, car elles permettent une multiplicité d’expressions et d’interprétations. En engageant des perspectives et des expériences diverses, souvent contradictoires, elles encouragent une reconfiguration dynamique des identités individuelles et sociales.”
(Hall, S. (1996), Introduction: Who Needs Identity? In S. Hall & P. du Gay (Eds.), Questions of Cultural Identity (pp. 1-17)
Prenons l’exemple d’une bande-dessinée sur la sexualité et le cancer réalisée dans le cadre d’une valorisation de la recherche sur le thème cancer et handicap. Il s’agit ici de changer les représentations du public cible (grand public, professionnels du soin, accompagnants en santé mentale) sur la possibilité d’une sexualité qui s’exprime durant le temps de la maladie.
Nous parlerons ici des éléments non-verbaux, qui ne concernent pas le texte de la bande dessinée mais toutes les autres informations. Pour cette bande-dessinée, nous avons fait le choix de présenter un personnage de femme désirable et désirante, malgré son absence de cheveux et quelques cernes. C’est un des faisceaux. Un autre faisceau est le choix artistique réalisé : choix des couleurs pastel, formes rondes et lignes douces, la bande-dessinée proposée utilise une communication qui se passe de mots pour associer la maladie inscrite dans le scénario à un univers visuel spécifique à la douceur, la rêverie, la peau, etc.
Le parti pris artistique est donc d’une grande aide pour jouer avec ces identifications et tenter de les déplacer…. pour le meilleur et pour le pire…