Les mutations de la valorisation de la recherche


Quand information, communication, marketing et valorisation scientifique fusionnent

Aujourd’hui, trois sphères s’entrelacent : la diffusion des résultats de recherche (information), la communication institutionnelle (relations publiques, marketing académique) et une culture médiatique omniprésente, dominée par des logiques de marché. Les mutations de la communication scientifique entraînent un paradoxe : les contenus de recherche sont mieux valorisés, tandis que la méthode scientifique pour les obtenir, elle, s’en trouve largement dévalorisée…

Les entreprises et les institutions deviennent des médias, les médias deviennent des entreprises à but lucratif, et cette fusion brouille les frontières entre information scientifique et exigences de visibilité commerciale.

Les outils numériques et les plateformes comme YouTube, Twitter, et TikTok transforment les modes de valorisation. Un article académique peut aujourd’hui être résumé en 30 secondes sur une story, dans un souci d’accessibilité et de viralité. Surtout, le choix de diffusion relève de plus en plus d’une quête de visibilité et d’impact sur les réseaux. Les médias traditionnellement validés par les scientifiques cherchent les phrases choc qui vont susciter des clics, utilisant à outrance les mêmes stratégies que les entreprises commerciales. Certes, le but est de donner à voir des informations plus détaillées, scientifiquement rigoureuses, mais jusqu’où peut-on aller pour amener le public à cliquer ?

média et information scientifique
média et information scientifique
Dans cet exemple, France Inter diffuse une recherche de l’Inserm. Ils tirent une phrase hors de son contexte, sans intégrer ni la complexité de la recherche, ni les moyens qui ont permis d’arriver à cette conclusion, ni les nuances probablement intégrées à la recherche. Ce faisant, ils s’assurent une visibilité pour la recherche, mais dans le même temps, ne dévalorisent-ils pas la recherche et sa démarche ? Les commentaires sont édifiants : ils prennent cette phrase comme étant « la recherche elle-même », et en concluent que les chercheurs de l’Inserm sont de même nature que les commentateurs de comptoir. Pour faire simple, on identifie le chercheur à sa valorisation…

Pour capter l’attention, les chercheurs et institutions doivent conjuguer :

  • Simplicité : synthétiser des concepts complexes.
  • Rapidité : adapter le message à des formats brefs et percutants.
  • Engagement : utiliser des récits quotidiens pour toucher un large public.

Caractéristiques contemporaines de la valorisation scientifique

Surabondance et désinformation :

Le numérique permet une diffusion exponentielle des travaux scientifiques. Mais cette surinformation entraîne des effets pervers :

  • Désinformation : La prolifération de contenus vulgarisés ou non validés peut diluer la crédibilité des sources académiques.
  • Censure par saturation : comme le souligne Ramonet, « la surproduction asphyxie le consommateur ». Des résultats cruciaux peuvent se perdre dans le flux.

Des initiatives comme Open Science visent à structurer cette surabondance. Toutefois, il reste difficile d’assurer une médiation qui allie rigueur et attractivité. Les médiateurs scientifiques, comme nous, se trouvent donc constamment face à un dilemme : choisir entre ne pas être vu, ou être visible en adaptant une partie du contenu aux formats les plus utilisés, quitte à perdre la rigueur scientifique nécessaire.

Dans un monde dominé par l’instantanéité, le format classique des publications scientifiques est challengé par des formats plus rapides : vidéos explicatives, podcasts, ou posts sur les réseaux sociaux. Néanmoins, comme le montre l’exemple des crises sanitaires récentes (COVID-19), cette course à la rapidité expose les chercheurs au risque de malentendus ou de surinterprétations.

La fin du journalisme

médiation scientifique

La science est-elle une marchandise comme les autres ?

Dans la valorisation de la recherche, les résultats scientifiques tendent à être valorisés selon leur capacité à séduire des financeurs ou des partenaires. La « valeur » d’une recherche peut parfois être évaluée davantage sur sa visibilité que sur sa contribution au savoir.

L’idée que « voir une expérience ou un résultat suffit pour le comprendre » est une illusion renforcée par les médias numériques. Les visualisations séduisantes (animations, infographies) ne garantissent pas une compréhension approfondie. Comme le rappelle Ramonet, cette illusion repose sur une perception superficielle, souvent déconnectée des méthodes scientifiques rigoureuses. En définitive, la science valorisé en format court valorise les résultats, mais dévalorise la manière dont on les obtient.

Le risque des plateformes participatives (comme la nôtre !)

L’essor des plateformes participatives incite les non-spécialistes à se présenter comme des « experts ». Cette démocratisation de la parole scientifique, bien qu’enrichissante, peut également marginaliser la voix des chercheurs. Un témoin direct d’un phénomène naturel, par exemple, n’a pas la même légitimité qu’un scientifique qui analyse ce phénomène avec des outils méthodologiques.

Les algorithmes des réseaux sociaux favorisent la redondance des messages populaires, amplifiant certaines conclusions au détriment d’autres. Cette répétition crée un biais d’autorité : ce qui est souvent vu ou partagé est perçu comme vrai, même si cela manque de fondement scientifique.

La transformation de la valorisation scientifique

Ramonet souligne que la pratique du journalisme doit évoluer face aux défis numériques. Il en va de même pour la valorisation de la recherche. Plutôt que de céder aux sirènes de l’instantanéité et de la simplification à outrance, les chercheurs doivent explorer des approches hybrides, qui articulent :

  • Médiation : associer rigueur académique et créativité narrative, co-construire pour éduquer les intermédiares de la médiation (grand public et communicants).
  • Temps long : créer des contenus pérennes, tels que des MOOCs ou des livres interactifs, qui résistent à l’éphémère.
  • Décryptage : accompagner le public dans la compréhension critique de la méthode scientifique elle-même, notamment via des médiateurs ou des influenceurs spécialisés.

La démarche scientifique, kesako ?

Communication scientifique Trois Petits Points

Mutation de la communication scientifique

La valorisation de la recherche est à un tournant historique. Elle doit conjuguer les exigences de visibilité et d’impact sociétal avec la responsabilité de préserver la rigueur et l’éthique scientifiques. Comme le propose Ramonet : « À l’heure où tout s’accélère, il faut savoir ralentir pour réfléchir. »

Les initiatives collaboratives, les partenariats avec des artistes ou des journalistes spécialisés, et l’exploitation des outils numériques les plus avancés offrent des pistes prometteuses pour répondre à ces défis.


Sources complémentaires

  1. Fassin, D. (2018). La Vie des idées. Paris : Seuil.
  2. Bayer, N. (2021). « Médiation scientifique à l’ère numérique ». Science Communication.
  3. Halimi, S. (2005). Les Nouveaux chiens de garde. Paris : Raisons d’agir.
  4. La fin du journalisme, Ignacio Ramonet

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