Climatologues, politiques et artistes : unissez-vous !

La communication scientifique destinée à informer sur les enjeux climatiques est un enjeu crucial dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques adaptées. Elle ne se limite pas à la diffusion d’informations, mais doit s’adapter aux besoins spécifiques de divers publics : élus, citoyens, et administrations. A l’époque de Netlix et des grandes cathédrales de l’Art, il est étonnant que le sujet des enjeux climatiques mondiaux soit si peu présent dans la consommation culturelle des foyers.

De plus, le rôle des scientifiques est de moins en moins reconnu comme essentiel dans la sensibilisation et l’accompagnement des prises de décision sur des problématiques telles que le changement climatique. Serait-ce donc que la mission fondamentale d’information scientifique sur les enjeux climatiques gagneraient à être confiées non pas aux seuls laboratoires… mais aux artistes qui les accompagnent ?

Comme l’a proposé le philosophe Michel Serres, « la science devient un projet collectif quand elle s’engage dans le dialogue social ». L’adoption de politiques climatiques efficaces ne résulte donc pas uniquement de la reconnaissance de l’urgence, mais aussi de la capacité à impliquer l’ensemble des acteurs sociaux et politiques dans un processus de réflexion approfondi (nous le constatons chaque semaine dans la mise en place de projets de transition agroécologique sur les territoires : elle n’est plus l’affaire des agriculteurs uniquement).

Un dialogue global impliquant toutes les couches de la société civile est donc nécessaire pour assurer non seulement la compréhension des enjeux, mais aussi la mise en place de mesures adaptées.

Les crises écologiques actuelles, qui se superposent à d’autres problématiques globales comme les pandémies, les migrations ou encore les pénuries énergétiques, rendent cette communication d’autant plus indispensable.

Les scientifiques qui étudient ces crises, ont toujours un rôle clé à jouer dans l’élaboration de données pertinentes qui alimentent les débats publics. Cependant, ce travail ne peut se limiter à un simple transfert de savoirs techniques. Il s’agit également de formuler des propositions concrètes sur la manière de structurer les réponses politiques. « L’action est l’unique manière de s’affranchir de la fatalité », disait Albert Camus, et dans ce cadre, la communication scientifique doit permettre de faire émerger des solutions capables de répondre à l’urgence climatique tout en prenant en compte les résistances sociales et politiques qui pourraient freiner leur application.

Le défi fondamental est de répondre à des questions culturelles et esthétiques pour rendre possible la mise en œuvre des politiques climatiques.

Les scientifiques doivent évaluer non seulement les risques environnementaux, mais aussi la manière dont les acteurs politiques et sociaux pourraient réagir, et s’ils sont en mesure de les rendre acceptables par tous les acteurs publics : c’est là que la communication scientifique entre en scène !

Certaines résistances, par exemple, qu’elles soient d’ordre idéologique ou liées à des contraintes matérielles, peuvent nuire à l’application des mesures. Identifier ces obstacles en amont permettrait d’anticiper des stratégies efficaces pour y faire face. Il ne s’agit plus seulement d’informer, mais plus de sensibiliser. Et dans sensibiliser, il y a sensible. Dans sensible, il y a sens… À vous de jouer les artistes !

En parallèle, la complexité des enjeux climatiques impose une nécessaire collaboration entre disciplines scientifiques. Le climat, en effet, ne concerne pas uniquement les sciences naturelles, mais touche aussi à des problématiques sociales, économiques et politiques. Or, comme le soulignait Edgar Morin, « nous devons apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes ». L’incertitude, c’est le chaos particulièrement bien appliqué à la notion de climat. La certitude, plus si évidente de nos jours, est que la démarche scientifique est un outil fonctionnel, efficace et souvent la plus apte à nous approcher d’une forme de vérité dans le type d’action à mettre en place. Il faut donc naviguer entre les sciences, et entre les arts et les sciences. Cette navigation, notamment, implique que les sciences sociales soient pleinement intégrées dans le processus de communication sur le changement climatique. Il s’agit d’articuler des discours qui prennent en compte non seulement les données factuelles sur l’évolution des écosystèmes, mais aussi les impacts sur les inégalités sociales, les migrations, et les vulnérabilités économiques. C’est là que la datavizualisation est un outil encore très largement sous-estimé, en ce qu’il est capable de naviguer entre des données pluridisciplinaires et esthétiques.

Pourtant, l’organisation de la recherche et le cloisonnement disciplinaire freinent encore trop souvent ces collaborations. Les scientifiques doivent-ils aujourd’hui repenser leurs pratiques et envisager des formes de communication nouvelles et transversales ? Chez « Trois Petits Points », c’est notre intime conviction. L’heure est peut-être venue de dépasser les limites de la spécialisation disciplinaire pour élaborer des savoirs communs et partagés, en lien avec les industries culturelles, pour être capables de répondre aux crises globales avec une approche intégrée. Cette vision s’inscrit dans une démarche où la science ne se limite plus à décrire le monde, mais s’engage activement à le transformer.

Dans ce cadre, la neutralité scientifique, si elle est indispensable pour garantir l’objectivité des connaissances, ne doit pas empêcher les chercheurs de prendre position dans le débat public. En effet, la crise climatique dépasse le cadre d’une simple analyse technique et engage des choix de société profonds.

Hannah Arendt, « la politique est la capacité de commencer quelque chose de nouveau »

Un exemple : la pandémie de Covid-19 a démontré l’importance des experts scientifiques dans les processus de décision politique. Cette crise a également montré la nécessité d’un conseil scientifique capable de dépasser l’approche strictement informative. Les données ne suffisent plus ! N’en déplaise à Mr Raoult, il nous a démontré qu’un personnage bien écrit, atypique et favorisant l’identification auprès du public (il faut le reconnaître !), n’avait pas le même impact sur le public qu’un personnage moins chamarré. Nous sommes à quelques pas de demander dans le CV des chercheurs quelles sont leur qualité d’acteur… Car ils peuvent être de très bons chercheurs, mais peu importe, si personne ne les écoute !

Le rôle de l’expert évolue ainsi vers une forme de collaboration plus étroite avec les communicants, où il s’agit d’évaluer non seulement l’état des systèmes naturels, mais aussi les effets des mesures politiques envisagées, et la manière dont ses effets peuvent être communiqués de manière sensible et efficace. Cette évolution permet d’ouvrir la voie à de nouveaux systèmes de conseil scientifique et politique, où la voix des artistes et des communicants prendrait un poids plus décisif dans les débats publics.

Plus que jamais, les scientifiques sont appelés à sortir de leurs laboratoires pour participer à la transformation des sociétés face aux défis climatiques, en contribuant à l’émergence d’une action collective éclairée et efficace. Et plus que jamais, à l’aune de notre société numérique, ils pourront trouver chez les artistes et les acteurs de l’industrie culturelle des partenaires non plus accessoires, mais bel et bien nécessaires…

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